Histoire du Carnaval de Limoux.

par Yvan Efratas

Un peu d’histoire locale : origine du carnaval de Limoux.


Autrefois, la vigne était bien moins présente qu’aujourd’hui dans le paysage du Limouxin et du Razès; seul, le Mauzac, cépage de la Blanquette de Limoux à l’origine (texte de 1531) occupait les versants au soleil. Le reste était consacré à la polyculture : luzerne pour les bêtes, et, surtout, le blé d’excellente qualité boulangère. Il y avait, dans la traversée de Limoux quatre moulins hydrauliques sur l’Aude pour le moudre ; il en reste des digues avec parfois une micro centrale hydroélectrique. De plus, une multitude de moulins à vent coiffait les collines ; il en reste les ruines…
Les excédents de farine étaient vendus aux Aragonais ; il faut dire qu’en ces temps, le Roussillon n’était pas rattaché au Royaume de France ; il a fallu attendre le mariage de Louis XIV avec l’Infante d’Espagne pour que le Roussillon, entre autres terres, fût rattaché à la France. Les défenses françaises du sud de l’actuel département de l’Aude, alors frontière sud de notre pays, qu’on appelle « châteaux cathares », Puylaurens, Peyre-Pertuse, Quéribus, etc., perdaient leur caractère défensifs.

Où effectuer les échanges ?

Bien sûr, au plus près de Limoux. L’actuel CD118 Mazamet-Mont Louis, s’arrêtait au sud de Quillan, à Belvianes; là, les gorges de l’Aude, appelées Gorges de la Pierre Lys, étaient infranchissables, car trop étroites. Il a fallu attendre bien plus tard pour que, sous l’impulsion de l’Abbé Armand, curé de Saint Martin Lys, les habitants de Saint Martin et ceux de Belvianes, ne réussissent à « briser la barrière » ; mais c’était plus d’un siècle plus tard, à la veille de la Révolution, l’Abbé Armand étant ensuite devenu « prêtre réfractaire ».
D’ailleurs, l’inscription située au-dessus du Trou du Curé, à l’entrée des Gorges, le rappelle :
Arrête, voyageur ; le Maître des humains a fait descendre ici la Force et la Lumière. Il a dit au Pasteur : « accomplis Mon Dessein » Et le Pasteur des Monts a brisé la barrière. Il est vrai que le passage tracé par l’abbé Armand et ses ouailles, dont on a conservé un petit vestige en l’état, n’aurait pas encore suffi pour les lourds chariots des meuniers. Tout juste si on peut passer à pied ou, peut-être avec un âne ! Seuls pouvaient franchir les gorges de Pierre Lys les « carrassiers » qui amenaient des trains de bois (radeaux) de Saint Martin à Trèbes, après Carcassonne, où ils étaient vendus. N’oublions pas qu’au sud de Limoux (Pays de Sault) des forêts royales fournissaient des fûts de sapin appelés, en raison de leur structure, à fournir les mâts des nefs de l’époque. En souvenir, il existe à Limoux une « rue de la carrasserie » ; petite rue qui mène au bord de l’Aude, quartier du Paradou. Limoux était une étape importante sur la route des carrassiers, comme Rouffiac et Carcassonne…

Le Col de saint Louis :

C’était le lieu le plus proche de Limoux pour la vente de la farine aux Aragonais. En fait de « col », c’est tout simplement la crête sur la ligne collines séparant Saint Louis et Parahou en France, de Caudiès de Fenouillèdes, en Roussillon aragonais actuel Département des Pyrénées Orientales. Partant en colonnes de plusieurs chariots, les meuniers quittaient Limoux par l’ancienne route vers le sud, passant à Alet, Couiza, Esperaza et Quillan ; à l’entrée de cette ville, ils tournaient à gauche par l’actuel CD 109, traversant Laval, et au niveau de Saint louis ils obliquaient à droite jusqu’au col frontière. De Limoux jusque-là, il faut compter 45 km. Les transmissions étant inexistantes, certains jours, liés à un Saint, étaient consacrées aux échanges…

Pourquoi les Meuniers passaient-ils par la Place centrale de Limoux ?

Tout simplement parce que c’était le seul chemin possible. L’actuel « Tivoli » où passe le CD 118, était l’emplacement des fossés ceinturant la ville et ses remparts. Les chariots arrivaient en ville par le chemin « farinier » qui existe toujours avec une partie conservée en l’état, franchissaient la Porte de la Trinité, aujourd’hui Porte Jean Jaurès, et passaient sur la Place, tant à l’aller qu’au retour. Ils poursuivaient leur chemin en remontant l’actuelle rue de la Mairie et sortaient de la ville par la porte Saint Jean, remontant la vallée de l’Aude par la rive droite…

La Partie des Meuniers :

Au retour, les Meuniers qui avaient fait de bonnes affaires, s’arrêtaient sur la Place : les poches pleines, ils faisaient la fête et dansaient avec des orchestres de fortune. Ils taquinaient les badauds en leur lançant des dragées et des poignées de farine recueillies au fond des chariots ! C’est ce que reproduisent les Meuniers d’aujourd’hui qui, le premier jour de carnaval, chinent et jettent aux passants des confettis blancs. Si, aujourd’hui, les Meuniers du carnaval portent un foulard rouge, c’est pour ajouter un peu de couleur…Le reste du costume n’a pas changé : blouse ample, pantalon, sabots de bois et bonnet.

Conclusion :

Notre carnaval, du moins lors de sa première sortie de l’année, célèbre cette origine lointaine de notre folklore. Le premier jour, appelé « jour des Meuniers, perpétue le souvenir de ces ancêtres de la terre qui ont inspiré de carnaval d’aujourd’hui.

Le carnaval de Limoux aujourd’hui.

Le déroulement :

La période de carnaval s’étale sur presque trois mois, depuis la sortie des » Meuniers « (c’est le Comité de Carnaval qui sort) jusqu’à la Crémation (dernière bande de la saison). Chaque jour de sortie est confié à une bande de carnaval (il y en a une trentaine !) qui anime les trois sorties de la journée.

Sortie de 11 heures : Elle est préparée avec le plus grand soin, dans le secret, par la bande. C’est une sortie dite « à thème », avec un sujet choisi dans la politique locale, régionale, nationale, voire internationale : on relate en le critiquant un fait actuel ou ancien, peu importe. Il faut critiquer sévèrement, tourner en dérision, sans aucune pitié, avec un côté égrillard mais pas paillard, car c’est pour tout public. On peut intriguer en utilisant la presse, la radio locale qui joue le jeu (ou se fait avoir !)

L’apparition des carnavaliers à 11 heures, doit être pour le public un ravissement, une révélation. Les airs joués sont assez rapides, généralement à deux temps.

La musique :

Il y a 13 musiciens : une première moitié joue 8 mesures, reprises par les autres, ce qui donne un ensemble envoûtant, propre au carnaval de Limoux. Généralement, les morceaux joués comprennent trois thèmes doux en mode majeur qui en encadre un en mode mineur, ce qui peut se représenter ainsi :

8 mesures X 2 en majeur / 8 mesures X 2 en mineur/ 8 mesures X 2 en majeur/

Composition de l’orchestre : trompettes, 2 clarinettes, 2 trombones, baryton, basse, contrebasse, (cuivres) plus le tempo donné par une caisse claire avec une grosse caisse/cymbale. Aujourd’hui, on ne trouve plus de bassiste ou ne contre bassiste, ces deux instruments sont remplacés par 2 hélicons !

Les airs joués :

Ils appartiennent au folklore de Limoux, ils sont écrits par des musiciens célèbres de Limoux disparus ou actuels : on crée de nouveaux airs, on en retrouve dans les greniers : on en recense 116 et les meneurs de musique choisissent celui qu’ils veulent mener. A chacun un titre, parfois simplement le nom de l’auteur. Mondy, qui en a écrit 2 on dit Mondy 1 et Mondy 2 ; Idem pour Alibert 1 et 2, le Serpent à sonnettes, les Nichons, la Cuquo, Mindjou, Crescendo, le Pape, carnaval es arribat…

Il y a des airs de 11h, de 17h, du soir (Plaisir d’Amour, la Belle Hélène)

Souvent ces airs ont des paroles paillardes, toutes en occitan, car pour carnaval, l’Occitan est utilisé.

Le dernier jour :

La bande qui officie ce jour-là vit un honneur qui lui échoit tous les 10 ans ! C’est dire si la sortie est sérieuse et soigneusement préparée. Telle bande qui finit carnaval cette année sera la première l’année prochaine, les autres se décalant pour se rapprocher de la fin.

A la fin du tour du soir, c’est-à-dire vers minuit sonné, le Tribunal, escorté par la bande, fait son entrée : la musique joue alors « Tripéou, » la seule fois de l’année. Le Tribunal s’installe avec Président, 2 avocats et les témoins. Tous les débats sont en occitan, et le pauvre avocat de la défense aura beau se démener et choisir ses arguments, la sanction tombe : le personnage qui symbolise Carnaval ira au bûcher ! (il y a un bourreau !)

Le Jugement débute avec « Poble de Limos » et se termine par Borrel ! Foc al tiol e l’aïgo leng ! (Traduction : Peuple de Limoux, bourreau, feu au cul, l’eau loin)

Pendant que Carnaval se consume, la bande et les masques se lamentent :

Adiu Paure, adiu paure, adiu paure Carnabal.

Tu t’en vas, e ieu demori per manjar la soupo a l’aï

Adieu, pauvre, adieu pauvre, Carnaval

Tu t’en vas, et moi je reste, pour manger la soupe à l’ail.

Cet air lent alterne avec une farandole gaie, pendant laquelle les carnavaliers, qui ont jeté masques et carabènes au feu tournent en se donnant la main.

Signification : la saison carnavalesque est finie (on pleure) mais carnaval va renaître de ses cendres pour recommencer : c’est aussi la fin des maux dénoncés au cours des plaidoiries et qui brûlent aussi : c’est aussi le retour de la belle saison. De toute façon, Carnaval est éternel. La carabène, (francisation de l’occitan carabena) et qui veut dire roseau va pouvoir repousser : accessoire des carnavaliers pour rythmer la musique et rendre les gestes amples : c’est effectivement un roseau long et fin, enrubanné.

Les bandes de Carnaval :

Elles portent un nom, soit d’un quartier de la ville où elles ont été créées (monte Cristo, le Tivoli, le Pont Vieux, le Paradou, les Arcadiens…) soit d’une spécialité (les Blanquetiers) soit d’un nom particulier né de l’Occitan (les Aïssable, c’est à dire les Emmerdeurs, lees estabousits (les étonnés), les Remenils (les remuants), les Brounzinaïres (ceux qui brounzinent, qui font du bruit, etc.)

A noter que si Carnaval était autrefois misogyne, pas de femme dans les bandes, cela a changé : on disait autrefois d’une femme acariâtre « qu’un carnabal ! » quel carnaval !

Cela a commencé par une bande entièrement féminine Las Femnos, fondée en 1972, une bombe ! Ensuite, une autre a suivi : las Piotos (les Dindes) ; depuis, la plupart des bandes admettent les femmes sans atteindre la parité ! Certaines ne les admettent pas (Les Arcadiens, l’Aragou)

Le Public.

Dès que la musique arrive, la Place se remplit : le public de Limoux et d’ailleurs aime Carnaval et

apprécie sa musique particulière, le rythme des fecos. Il y a d’excellents meneurs de musique, que l’on connaît ou qu’on essaye de reconnaître, mais ce sera difficile, car on ne voit pas un seul carré de peau (cagoule et gants immaculés) on ne se démasque jamais en public et on n’a pas le droit de se faire reconnaître : quand on entre au café, on va dans l’arrière salle, c’est seulement là, qu’entre carnavaliers on que les masques tombent : on peut alors se désaltérer.

Ceux qui sont devant la musique (les Meneurs) sont les personnages importants de la journée : leur place est devant, c’est tout et c’est ainsi. Si, en ne faisant pas partie d’une bande on veut tout de même se masquer, c’est possible, mais derrière la musique ! On est alors un goudilh, un gouailleur, mais attention : toujours masqué, cagoule et gants. Tout est alors permis : faire carnaval (même à peu près) les seigneurs sont devant ! Interpeller le public, faire rire, être excentrique, faire ce qu’on veut…

© mairie de Limoux.

Conclusion :

Le carnaval de Limoux est un folklore original, ancré dans la culture occitane et qui ne peut s’exporter, comment le comprendrait-on ?

D’ailleurs, la règle des trois unités du théâtre classique s’applique au carnaval de Limoux : les origines de notre carnaval de Limoux sont contemporaines de Boileau et de son Art Poétique.

« Qu’en un temps, en un lieu un fait s’accomplit, tienne pour le public le théâtre rempli » Un temps : celui de carnaval, un lieu : la Place, un seul fait accompli : les Fecos et rien de plus : s’en tenir aux règles.

Si on le compare à un défilé de chars et de bandas, ce dernier genre peut être transporté à une cinquantaine de km avec le même succès. Impossible avec notre carnaval qui a son histoire, qui s’est conservé intact (le Comité y veille) qu’à sa musique propre, ses airs originaux, son pas de danse particulier et difficile à comprendre pour un profane, ses règles immuables à l’exigence tatillonne qui les fait comparer à des rites.

Si, entre bandes, il y a une certaine émulation, les Carnavaliers, entre eux, font partie d’une même famille : celle du carnaval de Limoux et cela leur coûte cher : On cotise à la bande toute l’année pour avoir la joie, le délice de mener la musique deux ou trois fois 20 minutes…

A consulter aussi: https://fr.calameo.com/read/005259674dcd2b393fb92?fbclid=IwAR1i3qmqH86qy7g8hLTZuEJoky0JwXLw24wf4yqHLYS0Oao8vxKFRrX0PKk

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